Sans jamais atteindre le sommet: Voyage dans l'Himalaya by Cognetti Paolo

Sans jamais atteindre le sommet: Voyage dans l'Himalaya by Cognetti Paolo

Auteur:Cognetti, Paolo
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 2019-05-08T22:00:00+00:00


L’après-midi, je lavai mon linge dans le torrent et l’étendis au soleil. Je demandai à Sete de l’aide pour mes cheveux, me savonnai le reste du corps avec une bassine d’eau tiède et enfilai des vêtements propres. Mes compagnons aussi faisaient peau neuve, tiraient des cordes d’une tente à l’autre et mettaient leur lessive à sécher : ce n’est qu’en prenant de la distance, quand je me retournai pour contempler notre camp, que je me rendis compte du comique de notre sacrilège. Sur les étendoirs, nos caleçons volaient au vent ; sur les toits, sur les murs, sur les mâts en bois, s’agitaient les drapeaux de prières : mais le bouddhisme apprécie l’ironie et personne, à Shey, ne s’en offusquerait. Inspiré par la scène, je pensai que, dans le royaume du vent, ces lambeaux de tissu aux couleurs passées étaient précisément là pour le vénérer. Nul ne verrait le vent s’il n’avait rien à faire voler : les drapeaux rendent visible l’invisible. Et avec eux, les gypaètes et les griffons qui montaient dans les airs, les ailes déployées et immobiles, ministres du culte des airs.

Je me promenais au milieu des moulins à prières quand la petite fille de la veille vint à ma rencontre, suivie de Kanjiroba. Elle voulait me montrer quelque chose en cachette, me tendit son poing et l’ouvrit : c’était un fossile de coquillage, souvenir de l’époque où l’Himalaya était au fond de la mer. Puis l’Inde, qui était alors une gigantesque île errante, était allée battre contre la Chine, le choc avait fait se dresser les montagnes, propulsant les coquillages à 4 000 mètres d’altitude. Je fis non de la tête. Je n’aimais ni le commerce de fossiles, ni les vendeurs en culottes courtes. La fillette fut un peu déçue. J’avais du chocolat quelque part dans une poche et lui en offris pour la consoler. Elle se tourna vers sa tente pour contrôler, j’imagine, que l’adulte qui l’avait envoyée n’était pas en train de la surveiller, puis m’arracha la tablette des mains et se sauva à toutes jambes.

Je m’assis contre l’un des moulins à prières et observai le monastère. Plus haut, sur les vertes pentes du mont Somdo, une harde de bharals paissait au soleil. Pas de léopard en vue, mais le ciel de l’après-midi était limpide et à cette hauteur la lumière avait quelque chose d’absolu, atteignait son état le plus pur. Et il en allait de même pour l’air raréfié que je respirais, l’eau glacée que je caressais du revers de la main, la roche chauffée au soleil contre laquelle je m’étais assis. À cette pureté en correspondait une autre au fond de moi, c’était la réflexion au bout de laquelle j’essayais d’aller : le vent, le torrent, la lumière, la pierre étaient faits de la même substance que mon sang, mes fibres, mes organes, et les faisaient entrer en résonance comme le tambour du moine avait secoué mes membranes. Boum , boum , boum : je suis fait de ça, de ça, de ça.



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